Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
HISTOIRE DE FRANCE,HISTOIRE,POLITIQUE ET PROTESTANTISME

Pourquoi le conflit l'emporte-il sur le compromis ?,protestant,reforme,violences,

30 Mai 2016 , Rédigé par hugo Publié dans #protestants, #reforme, #religion, #violences

HEURTS ENTRE LA POLICE ET LES JEUNES PENDANT LA MANIFESTATION CONTRE LA LOI TRAVAIL À PARIS LE 19 MAI 2016© TATIF/WOSTOK PRESS/MAXPPP
SOCIALÉVÉNEMENT 26 MAI 2016
Auteurs
Laure Salamon
Imprimer
PDF
S'abonner
Achat au numéro
Envoyer






Pourquoi le conflit l'emporte-il sur le compromis ?


En marge des manifestations contre la loi Travail, les affrontements entre les jeunes et la police traduisent un blocage politique.


La voiture de police incendiée par des manifestants ou le passage à tabac d’un jeune par des policiers, ces images largement diffusées dans les médias et sur les réseaux sociaux illustrent-elles une escalade de la violence ? Pour Laurent Mucchielli, sociologue et historien à l’université d’Aix-Marseille, « il n’y a pas plus de violence qu’auparavant. Certes il faut remonter à 2010 pour retrouver ces phénomènes de casse, mais il n’y a pas eu de grands mouvements sociaux depuis. Et les manifestations des années 1970 étaient beaucoup plus violentes. »


Le garde des Sceaux, Alain Peyrefitte, avait même fait voter en 1981 une loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes, surnommée « loi anticasseurs ». François Mitterrand l’avait abrogée en grande partie en 1983.


La violence ancestrale


Et si on remonte encore plus loin dans l’histoire, Véronique Le Goaziou, sociologue, chercheuse associée au CNRS et auteure d’Idées reçues sur la violence (2004, Le Cavalier Bleu), explique que la violence est une notion à géométrie variable. « Les sociétés du Moyen Âge ou de la Renaissance étaient beaucoup plus marquées par la violence avec les bagarres, les duels, l’insécurité permanente. Considérée comme banale, tolérée voire légitime, cette brutalité était courante dans le quotidien, dans les relations interpersonnelles. Progressivement, on l’a écartée et remplacée par la civilité, la cordialité, la bienveillance. Aujourd’hui, quand on qualifie quelque chose de violent, il est déprécié. L’usage de la violence est même parfois considéré comme une anomalie, une folie ou une régression. Il est donc difficile de réfléchir de manière neutre à ce terme. » Qui plus est, ajoute la sociologue, il est utilisé à tout bout de champ et sature notre langage en regroupant une grande diversité de situations.


Or pour Laurent Mucchielli, il faut se méfier de la mise en scène de cette violence. « Le but de cette stratégie politique est de faire parler au maximum des faits de violence pour éviter de revenir sur le fond de la contestation. Les mouvements sociaux sont inégaux devant la dénonciation de la brutalité, ce qui arrange le pouvoir politique. Pour certaines contestations comme les agriculteurs ou les marins-pêcheurs, la communication va permettre d’apaiser les tensions. Alors que là, au contraire, elle contribue à faire monter leur niveau général, avec une surenchère de mots. »


Et comme les médias et la violence font plutôt bon ménage, la stratégie est payante. Les images et vidéos tournent en boucle sur Internet, les réseaux sociaux et les chaînes d’information en continu. « On est dans le spectaculaire, analyse Véronique Le Goaziou. Il est plus facile de saisir une image de violence qu’un instant de paix. »


Pourtant, Jean-Paul Willaime, sociologue et directeur d’études émérite à l’EPHE, rappelle que, dans toute société, il y a des conflits mais qu’ils sont régulés. La violence est, en démocratie, contenue. « Il y a crise lorsque certains s’arrogent le droit d’user de la violence alors que, dans un État de droit, seul ce dernier a le monopole de la violence physique légitime. »


Pour le sociologue, « ce passage à l’acte, dans une violence contre les biens et les personnes, manifeste une exaspération, une colère. Cela doit nous alerter sur le mauvais état du dialogue social. Il y a une sorte de dérèglement de la régulation dans les instances qui devraient permettre aux différents points de vue de s’exprimer et de négocier. »


Un avis partagé par le philosophe Olivier Abel, enseignant à l’Institut protestant de théologie de Montpellier. « Les gens ne s’écoutent plus. On ne sait plus où est le conflit. Le théâtre de la conflictualité ne marche pas. Il n’y a plus de lieux où se formulerait le conflit. »


Le climat social se dégrade depuis plusieurs semaines, plusieurs mois. D’un côté, le pouvoir politique avance sans tenir compte des revendications et, lorsque les élus du peuple lui bloquent la route, décide de passer en force avec l’usage du 49.3. De l’autre, on assiste à une perte de confiance dans le fonctionnement de la société, parallèlement au désir d’une démocratie plus directe et plus participative. Jean-Paul Willaime parle de « désenchantement démocratique » et de « fracture démocratique », certains ne se sentant pas partie prenante du système de la démocratie parlementaire. Parmi les raisons du mécontentement, le sociologue évoque aussi le renouvellement insuffisant de la classe politique, insuffisamment représentative des femmes et des jeunes.


Véronique Le Goaziou rappelle le lien entre ces revendications et les mouvements issus de la société civile, tel Nuit Debout. « L’absence d’alternative politique, le discrédit fort des appareils créent des frustrations qui poussent les gens à retourner dans la rue. D’autant que François Hollande avait professé des engagements sur l’insertion professionnelle et la jeunesse. La loi travail El Khomri touche à ces deux thématiques sensibles. »


Révolution numérique


À ce tableau déjà noir, Olivier Abel ajoute l’absence d’horizon. « On se trouve dans une situation de mutation politique, économique et culturelle provoquée entre autres par la révolution numérique. On ne sait pas vers quoi on va. On n’a pas encore trouvé d’issues, de nouvelles formes institutionnelles à l’échelle de la mondialisation. » Et Jean-Paul Willaime de compléter en soulignant le fait qu’en France des logiques de conflits l’emportent souvent sur des logiques de compromis. « Il faut préparer les lois bien en amont, en confrontant les avis. La tentation de vouloir aller vite est accentuée par une insuffisance de la culture du compromis. On est plutôt dans un schéma où l’un doit gagner et l’autre tout perdre. »


Et le philosophe Oliver Abel de conclure : « Il faut comprendre que la vérité est mouvante, que l’on n’a pas la solution tout seul et qu’il faut faire avec les autres. »


À un an de l’échéance présidentielle, la situation est préoccupante. On ne sait que trop comment le malaise peut s’exprimer dans les urnes.

http://reforme.net/une/societe/pourquoi-conflit-lemporte-compromis

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article